Lettre ouverte
à Xavier Bertrand,
ministre du travail
à Frédéric Mitterrand,
ministre de la culture et de la communication
Pour la défense de la Convention collective nationale des journalistes et de la loi Cressard
Pour l’annulation de l’arrêté d’extension du protocole d’accord anti-pigistes
Nous, journalistes syndiqués (...) et non syndiqués, réunis le 3 février 2011 à la Bourse du Travail à Paris, à l'initiative du Syndicat général des journalistes Force Ouvrière nous adressons à vous pour attirer votre attention et vous faire part de notre extrême inquié tude sur les conséquences pour notre profession de l'arrêt d'extension du « protocole d'étape concernant les journalistes rémunérés à la pige », conclu le 7 novembre 2008 au motif de « clarifier » la Convention collective nationale des journalistes.
Depuis, ces dispositions sont applicables à toutes les entreprises de presse sans exception, y compris celles qui ne sont pas adhérentes aux organisations patronales signataires.
La diligence avec laquelle a été étendu cet accord est surprenant de la part du ministère du Travail, car des points de ce protocole ont été jugées illicites par le Tribunal de Grande Instance de Paris et que l’affaire est en toujours en appel.
La rapidité du Ministère à étendre l'accord favorise grandement les patrons aux dépens des journalistes et d'une profession sérieusement touchée par le chômage.
Ratifié par les principales fédérations patronales, le texte avait semé à l'époque la discorde entre les organisations syndicales. S’opposant à la CFTC, à la CFE-CGC et la CFDT, qui ont signé l’accord, le SNJ, le SNJ-CGT et le SGJ-FO, représentant à eux trois une large majorité des journalistes, avaient refusé de le parapher et saisi la justice.
Ce texte menace gravement la Convention collective des journalistes et la loi Cressard sur des points majeurs : prime d'ancienneté, formation, élections professionnelles et impact sur la représentativité, indemnisation Assedic...
Sous couvert « d'avancées de vitrine » et « illusoires », ce texte, désormais étendu avec votre accord, est en fait un instrument de remise en cause des droits tant des journalistes pigistes que des journalistes permanents.
Les dispositions de ce texte exigent d'un pigiste qu'il soit titulaire de la carte d'identité des journalistes professionnels. Dans le code du travail est journaliste celui qui exerce la profession de journaliste (avec ou sans label de la commission de la carte abritée par le Ministère de l'Intérieur). Non seulement ce texte met en place des droits en deçà de ceux prévus par la Convention collective et le Code du Travail, mais il considère en plus que ceux qui n'ont pas encore obtenu leur carte de presse bien qu'exerçant le métier de journaliste, ne peuvent être reconnus comme tels !
Alors qu’on constate chaque jour les difficultés des pigistes à obtenir leur carte de presse, du fait des réticences de leurs employeurs à leur reconnaître la qualité de journaliste professionnel, ce protocole aboutit à l’aggravation de la situation des plus précaires des précaires.
C'est ainsi que les participants à la réunion du 3 février et notamment les jeunes journalistes sortant des écoles ont dénoncé l'odieux chantage opérés sur eux: des mois et des mois de « stages » pour se fabriquer un bon CV, contre du travail gratuit ou indemnisé à 400€ par mois! Ces pratiques sont honteuses, contraires à la morale, contraires au Code du Travail, contraire à la convention collective nationale des journalistes qui précise très clairement le statut de stagiaire, journaliste comme les autres, protégé par les minima de la convention collective. Ces pratiques conduisent à un déclassement général de la profession.
Dans un contexte de crise économique mondiale où la France a été frappée de plein fouet par les mesures d'austérité et où beaucoup de journalistes ont perdu leur emploi, notamment avec les PSE d'entreprises parfois bénéficiaires, le SGJ FO demande la stricte application de la loi du 4 juillet 1974 dite loi Cressard.
Non contents de refuser depuis plus de 30 ans d’appliquer cette loi, de maintenir dans la plus extrême précarité une partie importante de notre profession, de ne laisser comme seul choix aux pigistes que d’accepter la situation qui leur est faite ou d'ester en justice avec tous les frais et les préjudices que cela comporte, nos employeurs entendent aujourd’hui aller plus loin.
Ce texte porte atteinte à notre profession et à notre Convention collective sur plusieurs points :
- Préambule limitant l’application aux pigistes détenteurs de la Carte de presse, donc excluant tous les pigistes non encartés ;
- Calcul de la Prime d’ancienneté sur l’ancienneté « carte » uniquement, avec un plafonnement de la base de calcul au salaire minimum de journaliste débutant dans la branche. Donc ne prenant pas en compte les qualifications supérieures ;
- Pas d’obligation de faire figurer les pigistes au Registre du personnel ;
- Pas d’obligation de maintien intégral du salaire en période maladie ou congés maternité.
Nous demandons au gouvernement ce jour de saisir toute la gravité de cet arrêté d'extension pour les journalistes français, durement touchée par la précarité.
Nous souhaitons, Messieurs les Ministres, pouvoir vous rencontrer urgemment pour vous demander l'annulation de l’arrêté d'extension du protocole d'étape.
Notre demande est motivée par l’existence de plusieurs articles contraires au droit (Code du travail, Convention Collective, Loi Cressard) et qui met en danger notre profession et l'indépendance de la presse.
Nous souhaitons également vous alerter sur les nombreuses entorses au droit du travail dont sont victimes les pigistes dans de nombreuses rédactions, dont sont saisies d’ailleurs les Inspecteurs du Travail et qui sont actuellement l’objet de conflits dans les entreprises de presse. Par exemple à l’Agence France Presse pour la requalification en CDI de contrats de pigistes employés de façon permanente ou au groupe Express Roularta pour le paiement des primes d’ancienneté.
La précarité est l’ennemie de l’indépendance. Une presse qui n'est plus indépendante c'est un pilier de la démocratie qui faiblit.
Aujourd’hui, la question de fond est posée de savoir si la France souhaite toujours une presse libre et contribuer ainsi au pluralisme des sources d’information.
Dans l’attente d’une réponse favorable de votre part, veuillez agréer, Monsieur le Ministre du Travail, Monsieur le Ministre de la Culture et de la Communication, l’expression de mes sentiments distingués.
Pour la conférence du 3 février et le Syndicat Général des Journalistes FO,
FABIENNE CHICHE
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