Par Me A. BEM
Il n'est pas de véritable liberté de l'information sans la protection du droit moral et de sa traduction sociale, le droit patrimonial. Nous envisagerons donc les droits moraux (1) et les droits patrimoniaux (2) dont disposent les journalistes sur leurs créations et œuvres de l’esprit conformément au Code du travail et au Code de la propriété intellectuelle.
1 - Le droit moral dont disposent les journalistes sur leurs créations et œuvres de l’esprit conformément au Code du travail et au Code de la propriété intellectuelle
Les journalistes jouissent de leur liberté lorsqu’ils rapportent ou expliquent une information ou lorsqu’ils commentent un fait.
Selon les articles L 7111-3 et suivants du Code du travail, est journaliste professionnel, la personne qui a pour « activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources » ou la personne qui exerce sa profession dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique.
Le fruit du travail journalistique est une œuvre de l’esprit sur laquelle leur identité apparait en qualité d’auteur afin de matérialiser la marque de leur droit moral sur ces œuvres.
L'article L761-2 du Code du travail et la loi dite Cressard du 4 juillet 1974 confèrent le statut de salarié à tout journaliste, qu'il soit " permanent " ou " pigiste ".
Cet acquis ne porte nullement atteinte à la qualité d'auteur des journalistes salariés.
En effet, l'article L111-1 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que :
« L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service (contrat de travail) par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa premier »
Or l’alinéa 1er de l’article précité dispose que :
« L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Ainsi, l’existence d’un contrat de travail et la qualification de la publication en œuvre collective n’apporte aucune dérogation aux droits dont disposent le journaliste sur ses écrits.
En outre, s’agissant du droit moral des journalistes les codes de la propriété intellectuelle et du travail fixe les modalités d’exercice de ce droits.
Conformément aux dispositions de l'article L 121-8 du Code de la propriété intellectuelle, les journalistes ont seuls le droit d'autoriser ou d'interdire toutes autres exploitations de leurs articles.
De même, l'article L 761-9 du Code du travail dispose que :
« Le droit de faire paraître dans plus d'un journal ou périodique, des articles ou autres œuvres littéraires ou artistiques dont les personnes mentionnées à l'article L761-2 (les journalistes professionnels) sont les auteurs sera obligatoirement subordonné à une convention expresse qui devra indiquer les conditions dans lesquelles sera autorisée la reproduction »
La jurisprudence juge constamment qu’il n’y a pas de cession automatique des droits d'auteur des journalistes de sorte qu’indépendamment du mode de rémunération (salaire mensuel ou pige), les journalistes ne cèdent à l'éditeur de presse que le droit de première publication ou diffusion.
Au delà du droit de première publication ou diffusion, les éditeurs de presse doivent conclure avec les journalistes un acte de cession de leurs droits d’auteur notamment pour ce qui concerne les articles réalisés par les journalistes et exploiter en ligne sur Internet.
En effet, la diffusion des œuvres de journalistes ou pigistes sur Internet est un acte de communication au public d’une œuvre originale protégée par le droit d’auteur dont l'exploitation nécessite l'autorisation préalable et une rémunération de l'auteur.
Si l'éditeur ou un tiers souhaite diffuser sur le réseau les œuvres des journalistes, "pigistes" ou "permanents" , il doit obtenir leur consentement préalable par un écrit détaillant tous les éléments de l'exploitation : droits cédés, lieu, durée, destination, ainsi que les œuvres en cause. Cette obligation vaut quelques soient les modalités de diffusion des œuvres : site gratuit ou d'accès payant, diffusion simultanée à la publication papier ou archives, mise en page à la manière du journal d'origine ou base de données
A défaut, les éditeurs de presse sont condamnés par les tribunaux sur le fondement de la contrefaçon (TGI de Strasbourg, 3 février 1998, DNA et France 3 ; TGI de Paris, 14 avril 1999, Le Figaro ; TGI de Lyon, 21 juillet 1999, Le Progrès ; Cour d’appel de Lyon 9 décembre 1999, Le Progrès).
2 - Les droits patrimoniaux dont disposent les journalistes sur leurs créations et œuvres de l’esprit conformément au Code du travail et au Code de la propriété intellectuelle
Les sommes versées à un journaliste professionnel ou assimilé doivent être qualifiées de salaire, et ce, quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties à leurs relations de travail (articles L 311-2 et L 311-3-16 du Code de la Sécurité sociale).
La rémunération susceptible d’être perçue par les journalistes dépend de la nature et de la destination de l’exploitation qui est faite de leurs œuvres et en tout état de cause doit être proportionnelle aux recettes provenant de l'exploitation de leurs œuvres.
Bien qu’aucune disposition n’ait été édictée concernant les journalistes auteurs d’œuvres écrites, la r
d'utilisation des articles donnent lieu au profit de ces derniers au versement de complément de salaire s’il s’agit d’une exploitation dans la presse et de droits d’auteur sur les bases d’un contrat d’édition s’il s’agit d’une exploitation hors presse.
En outre, si les œuvres du journaliste continuent à être diffusées après son départ, la continuation du versement de sa rémunération doit être contractuellement prévue le cas échéant.
Les journalistes doivent donc être particulièrement vigilants sur les clauses de cession de droits qui leur sont proposées par leurs employeurs éditeurs.
Enfin, contrairement aux dispositions précitées, certaines entreprises de presse et d'audiovisuels rémunèrent les journalistes qu’elles emploient en leur versant des droits de l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) ou comme auto-entrepreneur.
Or, rémunérer en droits d’auteur un journaliste exerçant sa profession peut relever de la fraude aux cotisations sociales au détriment de l’Urssaf et relever également du travail dissimulé dans certains cas.
En effet, rémunérer sous le régime de l’Agessa permet aux employeurs de détourner le système : payer moins de charges et l'avantage majeur licencier un pigiste sans risquer une procédure judiciaire.
De plus, bien que le régime social de l’Agessa concerne les personnes qui exercent des activités littéraires et artistiques : écrivains, cinéastes, compositeurs, peintres illustrateurs, il se est très avantageux pour l'employeur puisque sur la rémunération brute de l’auteur, l'employeur n’est assujetti qu’à une contribution de 1%.
En outre, selon le code du travail, les journalistes sont des salariés qui ne peuvent en aucun cas et d’aucune manière s’affilier à l’Agessa dans l’exercice de leur profession et qui relèvent en tant que tel du régime général des salariés (Urssaf).
Le nouveau statut d'auto-entrepreneur séduit également les DRH des groupes médias, de manière totalement illégal et passible d’une peine de trois années d’emprisonnement et 45.000 € d’amende, outre les sanctions civiles et les redressements que les organismes sociaux sont susceptibles de notifier aux employeurs.